La vie d'artiste awd
1886-1948
Maurice Utrillo et André Utter sont nés au pied Nord de la Butte
Montmartre, de part et d'autre de Notre-Dame de Clignancourt. Le
premier, Maurice Valadon, dit l'acte de naissance, est né rue du
Poteau en 1883. Il est le fils de Marie Valadon, couturière âgée
de 18 ans, et de père non dénommé. Le second est né rue Ordener
en 1886. André Utter est le fils d'un ferblantier et d'une femme de
chambre venus tous deux du Bas-Rhin, mariés à Paris en 1879. André
Utter est blond aux yeux bleus " beau comme un dieu " dit Heuzé qui se
souvient qu'après son certificat d'étude il commença à écrire
des petites choses non dénuées d'intérêt, et entraîna un petit
groupe à peindre avec lui. Voici le récit d'une de leurs aventures
subvenue rue Cortot : " Nous étions laborieusement occupé à
peindre lorsqu'elle s'avança : c'était une jeune femme, petite,
mince et qui tenait à la main deux grands chiens en laisse. Nous
étions étonnés parce que, jusqu'alors nous n'avions vu que les
mêmes paysans traverser la Butte aux mêmes heures et cette personne
était une inconnue. Utter nous dit "c'est Suzanne Valadon". Elle avait
d'étonnants yeux clairs, bleus comme le ciel et pailletés d'or, des
cheveux noirs coiffés en bandeau. Elle semblait avancer à la façon
d'une danseuse. Elle tenait à la fois de l'amazone et de la fée.
Elle passa près de notre petit groupe sans seulement avoir un regard.
A la façon dont Utter semblait lui porter de l'intérêt, nous
comprîmes qu'il la connaissait. A cette époque en effet nous ne
connaissions Suzanne Valadon que sous le nom de Suzanne Degas, elle
avait été à la fois l'amie et l'intime du maître. Nous étions
très émotionnés. Suzanne Degas, pour nous, était tout un passé
que nous admirions, et un présent, car, à ce moment-là, c'était
la grande lutte des impressionnistes. Le lendemain matin, à peu près
vers la même heure, on la revit de nouveau. Par hommage sans doute, je
constate le fait, nous nous levâmes à son passage. Elle ne
s'arrêta pas, mais elle sourit. Nous étions tellement bouleversés,
notre émotion était si grande que, ce matin-là, nous ne fîmes
aucune étude. Je crois qu'avec mes camarades, ce fut la première
fois que nous fîmes vraiment connaissance avec la Butte. Pas un
sentier, pas une sente, pas une impasse, pas une ruelle qu'Utter ne nous
fit visiter. Aucun de nous n'osait parler de ce qui l'occupait vraiment
: Suzanne Valadon. [...] Il y avait à la fois en elle de l'enfant, de
l'archange et aussi... du monstre. Le surlendemain elle s'approcha de
nous, très attentive, avec une figure dure d'ailleurs et dit à la
cantonade : " On ne peint pas le ciel comme la terre ! ". C'est tout. Ce
fut après son départ une longue discussion, car je tiens à vous
dire que si cette phrase nous paraissait élémentaire, c'était
pourtant la meilleure leçon de peinture que nous puissions recevoir :
" Le ciel est fugitif, la terre est solide et immuable. Elle voulait
nous indiquer que le ciel n'est pas seulement ce que l'on est habitué
à regarder comme le ciel ; mais l'effet de la lumière projetée sur
la terre, c'est encore un autre ciel. Et pour les artistes et les
poètes, cela donne une impression de paradis. " Bientôt, nous ne
vîmes plus André Utter. Que s'était-il passé ? André, qui
était constamment à la Butte, revoyait Suzanne Valadon. Il était
devenu son camarade, avait été invité à son atelier, puis son
amant. Nous avions perdu l'âme du groupe." Utter vivait déjà 12
rue Cortot depuis quelque temps lorsqu'il épousa Suzanne Valadon 1e 1
septembre 1914. La veille, il s'était engagé. Téléphoniste dans
l'infanterie, il pose courageusement une ligne sous le feu de
l'artillerie allemande le 8 octobre 1915 à Tahure, près de Reims.
Une balle lui transperce la poitrine et s'arrête à quelques
centimètres au-dessus du cœur, derrière l'aorte... Il a
miraculeusement la vie sauve. Il est démobilisé en 1919 et reprend
sa place dans la célèbre " trinité maudite " entre sa femme
Suzanne Valadon et Maurice Utrillo. René Héron de Villefosse se
souvient de la grinçante formule d'Utter " la Sainte Trinité
réunissait la mère, le fils, et le Saint d'esprit..." Mais les
souvenirs du Conservateur en chef des Musées de la Ville de Paris sont
parfois incertains... Par exemple lorsqu'il évoque ses amicales
conversations avec Heuzé dans son atelier de la rue Custine... mais le
49 rue Custine n'était que l'ancienne adresse d'Emile Heuzé, veuf
d'Adélaïde Tessier (la mère du peintre) l'un et l'autre morts
depuis bien longtemps. L'atelier d'Edmond Heuzé, ancien atelier de
Utter, était 38 rue Ramey, au dessus du café " A la Belote ". Le
peintre André Letourneur s'en souvient très précisément pour
avoir été rossé (coups de poing et coups de chaise) par Heuzé le
24 avril 1927, dans cette salle de café, en bas de son atelier, 38 rue
Ramey... Ce qui lui valut 15 jours d'arrêt de travail, le rapport ne
précise pas l'objet de l'agression.
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